

Turquie: les esprits s'échauffent autour d'un dessin accusé de moquer le prophète
Plusieurs centaines de manifestants ont de nouveau conspué un magazine satirique turc accusé d'avoir publié un dessin moquant le prophète, mardi à Istanbul, ce que la rédaction dément vigoureusement au lendemain de heurts qui l'ont visée.
Le coeur d'Istanbul a été bouclé par la police dès mardi matin, autour de la place Taksim et de la populaire avenue commerçante Istiklal, et tout rassemblement officiellement interdit.
Mais quelque 300 personnes réunies dans et autour de la mosquée de Taksim ont dénoncé le dessin paru dans la revue d'opposition Leman aux cris de "Leman, salauds, n'oublie pas Charlie Hebdo", ont constaté des journalistes de l'AFP.
Une référence explicite et menaçante aux attentats jihadistes contre l'hebdomadaire satirique français le 7 janvier 2015, qui avaient décimé la rédaction, faisant 12 morts et 11 blessés.
Le président Recep Tayyip Erdogan a dénoncé à son tour une "provocation infâme" sous couvert d'humour, dans une allocution à la mi-journée. Evoquant "un crime de haine" il a assuré que "ceux qui se montrent insolents envers notre Prophète (...) seront tenus responsables devant la loi".
"Le manque de respect envers notre Prophète par des individus immoraux, dénués des valeurs de cette nation (...) est totalement inacceptable", a fustigé le chef de l'Etat islamo-conservateur, au pouvoir depuis 2003.
A ce stade, quatre collaborateurs du magazine, dont le caricaturiste auteur du dessin en cause, ont été arrêtés sur les six visés par des mandats d'arrêt, pour avoir publié un dessin qui "dénigre ouvertement les valeurs religieuses".
Joint par l'AFP, le rédacteur en chef du magazine, Tuncay Akgun, en déplacement à l'étranger, a nié toute intention malveillante.
"Ce dessin n'est en aucun cas une caricature du prophète Mahomet", a-t-il défendu, arguant que le personnage est un musulman tué à Gaza dans les bombardements d'Israël.
- "Rien à voir avec le prophète" -
"Il a été appelé Mohammed, c'est une fiction. Plus de 200 millions de personnes dans le monde islamique s'appellent Mohammed".
"Cela n'a rien à voir avec le prophète Mahomet. Nous ne prendrions jamais un tel risque", a insisté M. Akgun.
Plusieurs dizaines de personnes en colère ont tenté d'attaquer lundi soir un bar du quartier touristique d'Istiklal, fréquenté par le personnel de la revue.
Puis des échauffourées ont rapidement dégénéré avec les manifestants venus défendre Leman, provoquant l'intervention des forces de l'ordre qui ont fait usage de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes, a constaté l'AFP.
Le dessin en question montre deux personnages dans le ciel, au-dessus d'une ville écrasée sous les bombes: "Salam aleykoum, je suis Mohammed", dit l'un en serrant la main de l'autre qui répond: "Aleykoum salam, je suis Musa (Moïse)".
"Le dessinateur a voulu montrer le peuple musulman opprimé en représentant un musulman tué par Israël, il n'a jamais eu l'intention de rabaisser les valeurs religieuses", s'est défendu le magazine Leman sur X.
En mars 2002, les dessinateurs de Charlie Hebdo avaient rendu visite à Leman et publié conjointement avec leurs confrères turcs un numéro spécial.
Charlie Hebdo se référait alors à Leman comme "notre petite sœur turque".
Les détracteurs de la revue appellent à un rassemblement de protestation samedi dans un parc adjacent à la mairie d'Istanbul.
Le chef de l'opposition parlementaire, le président du CHP laïc Özgür Özel, a hésité avant de condamner les attaques contre la revue. "Ma première réaction a été : comment peut-il y avoir une image du prophète", dont la représentation est interdite par l'Islam.
"La deuxième a été: Leman n'est pas ce genre de magazine" a-t-il ajouté, appelant "les conservateurs qui ont une conscience, les écrivains et les artistes à bien regarder: je vois un ange qui a perdu la vie sous les bombardements de Gaza, avec une auréole et des ailes, qui rencontre un autre ange tué par une autre bombe".
L'organisation Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé mardi ces arrestations et estimé que "la sécurité des caricaturistes doit être désormais le sujet principal pour les autorités".
P.Lefevre--JdCdC