

La Sierra Leone au patrimoine mondial grâce aux 25 ans de combat d'un activiste passionné
Entouré d'une forêt luxuriante abritant l'une des plus fortes concentrations de primates au monde, l'activiste Tommy Garnett contemple avec joie l'île de Tiwai en Sierra Leone, entrée dimanche au patrimoine mondial de l'Unesco, un trésor de biodiversité qu'il a sauvé et restauré depuis 25 ans face à la guerre civile, aux pandémies et aux fléaux de la déforestation et du braconnage.
"Je suis très heureux, soulagé, plein d'espoir et confiant" dans l'avenir de ces sites, confiait à l'AFP depuis Tiwai quelques jours avant le vote à l'Unesco Tommy Garnett, 66 ans, fondateur en 1992 de l'ONG The Environmental Foundation for Africa (EFA) dont il est le directeur exécutif.
Cet activiste charismatique a consacré sa vie à des projets de protection de l'environnement en Afrique de l'Ouest, en particulier en Sierra Leone et au Liberia. Il est l'artisan avec son ONG de la restauration de l'intégrité environnementale de Tiwai, qui faillit être détruite.
Le complexe de Gola-Tiwai - composé de la réserve de Tiwai et du parc national de la forêt tropicale de Gola, dans le sud-est de la Sierra Leone - est entré dimanche au patrimoine mondial de l'humanité, à l'issue d'un vote lors de la 47ème session du Comité du patrimoine mondial de l'Unesco.
C'est la première fois que la Sierra Leone est reconnue par l'Unesco pour l'un de ses sites.
Gola-Tiwai est "remarquable et emblématique pour sa diversité et sa densité de primates", dont les espèces menacées du chimpanzé d'Afrique de l'Ouest, du colobe royal ou du singe Cercopithèque diane. Son environnement abrite aussi le discret hippopotame pygmée et l'éléphant de forêt, espèces menacées.
- "Success story" -
Tiwai et son sanctuaire de faune sauvage, gérés par l'ONG EFA, est une "success story" dans ce pays d'Afrique de l'Ouest à la biodiversité spectaculaire, mais qui subit une alarmante déforestation due à la prolifération d'activités humaines illégales.
Cette île intérieure, atteignable seulement en bateau, mesure 12 km carrés et abrite pas moins de 11 espèces de primates.
EFA a permis que Tiwai devienne un centre de recherche scientifique sur la biodiversité, une destination d'écotourisme et un outil pour l'éducation à l'environnement des jeunes, grâce à une collaboration avec les communautés locales qui ont abandonné certaines activités pour protéger la forêt.
Les revenus du tourisme sont réinvestis pour les habitants (emplois, formation, aide à l'agriculture, etc...).
L'écosystème de Gola, situé à plusieurs dizaines de kilomètres au nord de Tiwai, est quant à lui la plus grande étendue de précieuse forêt tropicale humide en Sierra Leone.
La décision de l'Unesco est une reconnaissance de l'inlassable engagement de Tommy Garnett.
Durant la guerre civile en Sierra Leone ((1991-2002), alors que la faune de Tiwai avait été presque entièrement décimée, l'activiste, son ONG et ses donateurs ont sauvé l'île.
"Quand nous sommes venus pour la première fois à Tiwai en 2000, toutes les infrastructures de tourisme et de recherche étaient en état de délabrement, le sol de l'île était couvert de cartouches de munitions vides, les gens avaient commencé à abattre les arbres", se remémore-t-il. "Nous avons lancé la sonnette d'alarme: cet endroit était en train de disparaître...".
Ce défenseur de l'environnement se bat alors pour trouver des financements pour reconstruire et pour sensibiliser les communautés locales. En 2006, ces dernières acceptent que le site redevienne un lieu d'écotourisme et de recherche. Et depuis 19 ans, M. Garnett et son ONG assurent la préservation de ce havre de biodiversité, faisant face à l'épidémie d'Ebola, au Covid-19 et à des intempéries destructrices.
- "Responsabilité" -
"Nos vies, nos moyens de subsistance, notre culture et nos traditions sont tellement inextricablement liés à la forêt que si la forêt meurt, une grande partie de nous meure avec; c'est pourquoi nous avons la responsabilité de mener les efforts de protection de ces sites", dit-il.
Silhouette athlétique façonnée par la pratique du vélo et du yoga, Tommy Garnett est d'un abord chaleureux.
Né en 1959 dans le district rural de Kono (est), il y vit jusqu'à ses 18 ans. L'une de ses "premières expériences de vie fortes" a été de grandir à côté d'une "majestueuse forêt". "Ce souvenir de mon enfance a été un élément moteur".
Après des études à l'étranger en agriculture et économie du développement, il décide au début des années 90 de "rentrer chez lui" pour "reconnecter avec sa famille" et aider son pays alors que la guerre fait rage.
Il commence à travailler dans le secteur de la protection de l'environnement, après avoir pris conscience de la destruction de la nature à l'oeuvre pendant ce conflit où les groupes armés se disputaient les ressources minérales (diamants notamment) et minières pour se financer.
Depuis 30 ans, l'activiste sillonne avec ses collègues les forêts du pays, se confronte aux trafiquants, mène nombre de réunions avec les communautés.
Une ténacité et une patience entretenues par une pratique quotidienne du yoga et de la méditation, souffle-t-il.
Ces 20 dernières années, plus de deux millions d'arbres ont été plantés dans des zones déforestées en Sierra Leone par EFA, précise M. Garnett, dont 500.000 rien qu'entre 2020 et 2023.
Le ministre sierra-léonais de l'Environnement Jiwoh Abdulai s'est dit "très heureux" de la décision de l'Unesco, a-t-il déclaré à l'AFP.
Le ministre rend hommage à l'engagement de Tommy Garnett, "quelqu'un de passionné" et "un atout formidable" pour la Sierra Leone.
"Tout le pays lui est reconnaissant", conclut le ministre non sans admiration.
D.Dupuis--JdCdC