

Madagascar: une unité de l'armée appelle à "refuser les ordres de tirer" sur les manifestants
Un contingent de l'armée malgache posté près d'Antananarivo a appelé samedi les forces de sécurité à "refuser les ordres de tirer" sur la population, alors que plusieurs milliers de manifestants dans la capitale ont été rejoints par des militaires.
Les forces de l'ordre ont fait usage samedi de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes pour disperser les manifestants mobilisés dans la capitale, mais des groupes de soldats ont ensuite rejoint la foule dans la rue, sous les "merci" de la foule, a constaté une équipe de l'AFP.
Les manifestations de samedi, à Antananarivo et ailleurs sur l'île, sont les plus importantes depuis plusieurs jours, à l'appel d'un mouvement mené par les jeunes appelés "Gen Z" qui avait commencé comme une protestation contre les coupures d'eau et d'électricité et a mué en une contestation plus large du pouvoir, incarné par le président Andry Raojelina, 51 ans.
"Unissons nos forces, militaires, gendarmes et policiers, et refusons d'être payés pour tirer sur nos amis, nos frères et nos sœurs ", ont déclaré dans une vidéo des soldats du CAPSAT (Corps d'armée des personnels et des services administratifs et techniques), stationnés sur l'importante base militaire du district de Soanierana, en périphérie d'Antananarivo.
"Les jeunes peinent à trouver du travail alors que la corruption et le pillage de la richesse ne cessent de s'accroître sous différentes formes" et que "les forces de l'ordre persécutent, blessent, emprisonnent et tirent sur nos compatriotes", ont souligné ces soldats.
"À tous les militaires, ceux qui sont prêts à prendre leurs responsabilités, rejoignez immédiatement le CAPSAT (...) Vous, les militaires aux palais présidentiels d'Iavoloha et d'Ambohitsorohitra, quittez votre poste et rejoignez vos camps d'origine (...) Vous qui êtes à (l'aéroport international d')Ivato, empêchez tous les aéronefs sans distinction de décoller", ont dit les militaires.
En 2009, cette base avait déjà mené une mutinerie lors du soulèvement populaire qui avait porté au pouvoir l'actuel président.
- "N'obéissez plus aux ordres" -
"Fermez les portails et attendez nos instructions. N'obéissez plus aux ordres venant de vos supérieurs. Braquez vos armes sur ceux qui vous ordonnent de tirer sur vos frères d'armes car ce ne sont pas eux qui vont s'occuper de notre famille si jamais on meurt", ont ajouté les militaires.
Le nombre de soldats ayant répondu à cet appel n'était pas connu dans l'immédiat. Mais des véhicules chargés de soldats armés ont rejoint dans l'après-midi des milliers de manifestants rassemblés dans la zone du lac Anosy, dans le sud de la capitale, où la police avait tiré des grenades lacrymogènes pour tenter de les disperser, montre une vidéo de l'AFP. Les manifestants ont crié "Merci" aux militaires, dont certains brandissaient des drapeaux malgaches.
Le nouveau ministre des Armées, Deramasinjaka Manantsoa Rakotoarivelo, a appelé les troupes au calme lors d'une conférence de presse.
"Nous appelons nos frères qui ne sont pas d'accord avec nous à privilégier le dialogue", a-t-il déclaré. "L'armée malgache demeure un médiateur et constitue la dernière ligne de défense de la nation".
Le Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Volker Türk, avait demandé vendredi aux autorités malgaches de "cesser le recours à une force inutile", au lendemain de manifestations à Antananarivo ayant fait de nombreux blessés parmi les contestataires.
Des vidéos de la violence de la police sont devenus virales sur les réseaux sociaux. L'une d'elles montre un homme laissé inconscient au sol après avoir été poursuivi et sévèrement battu par les forces de sécurité, ce que des journalistes de l'AFP ont constaté sur place.
Au moins 22 personnes ont été tuées depuis le début des manifestations le 25 septembre et plus d'une centaine blessées, d'après un bilan des Nations unies.
Le président Rajoelina a démenti des "chiffres erronés" mercredi, estimant les "pertes de vies" à 12, tous "des pilleurs, des casseurs" selon lui.
Après avoir adopté au début un ton conciliant, puis renvoyé son gouvernement en réponse aux manifestations, le président a depuis nettement durci le ton, nommant un militaire comme Premier ministre le 6 octobre ainsi que seulement trois nouveaux ministres jusqu'ici, tous issus des forces de sécurité: ceux des Armées, de la Sécurité publique et de la Gendarmerie.
Pays parmi les plus pauvres du monde, Madagascar a connu de fréquents soulèvements populaires depuis son indépendance de la France en 1960, notamment des manifestations de masse en 2009 qui avaient contraint le président de l'époque, Marc Ravalomanana, à quitter le pouvoir, tandis que l'armée installait M. Rajoelina pour son premier mandat.
Ce dernier a été réélu en 2018, puis en 2023, lors d'élections contestées et boycottées par l'opposition.
L.Richard--JdCdC